202005.13
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Le harcèlement moral au travail: zoom sur la caractérisation de ces faits

Le délit de harcèlement moral a été introduit dans le Code pénal et dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale n°2002‐73 du 17 janvier 2002.

Le harcèlement moral est défini par l’article 222-33-2 du code pénal[1] et par l’article L1152-1 du code du travail[2].

La terminologie employée par ces deux codes diverge.

En effet le premier évoque des « propos ou comportements répétés», sans directement employer les termes de harcèlement moral,alors que le second fait référence à des « agissements répétés de harcèlement moral ».

Les deux textes s’accordent néanmoins sur les conséquences de ces faits qui doivent nécessairement avoir «pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel».


Nous noterons que cette infraction est non intentionnelle et donc, que l’intention de nuire n’est pas exigée pour caractériser les faits de harcèlement moral. La Cour de Cassation l’a d’ailleurs rappelé très récemment dans une décision en date du 13 novembre 2019.[3]

Mais qui peut être auteur de tels faits?

Les faits de harcèlement peuvent être commis par : 


–  l’employeur,            

–  un supérieur hiérarchique,
–  un collègue de travail
– par un subordonné à l’égard d’un supérieur hiérarchique (Crim. 6 déc. 2011, n° 10-82.266)[4].

L’auteur de harcèlement peut faire l’objet de sanctions pénales et de sanctions disciplinaires prises par son employeur.

Pour rappel, l’employeur est d’ailleurs tenu à l’égard de ses employés, d’une obligation de sécurité et de protection de leur santé physique et mentale qui découle notamment de l’article L. 4121-1 du Code du travail[5] et de l’exécution de bonne foi du contrat de travail.


Les victimes peuvent être des salariés, des personnes en formation ou des stagiaires de l’entreprise.

Pour déterminer si les faits dénoncés sont constitutifs de harcèlement moral et quelles indemnisations seront accordées aux salariés, les juges sont tenus à un examen strict des faits qui leur sont soumis.

  1. Des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement 

Pour apprécier si les faits de harcèlement sont caractérisés, les juges du fond devront vérifier si les faits évoqués devant eux sont établis.

La loi imposait initialement au salarié d’établir des faits qui permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement. Mais depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (dite loi Travail), l’article L1154-1 du code du travail a été modifié[6] et les conditions relatives à la preuve ont été assouplies.

Désormais, une présomption simple de harcèlement est posée par les juges.

Le salarié victime de harcèlement devra présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

La force probante des éléments de preuves soumis aux juges sera strictement évaluée,  et ce, afin de ne pas renverser complètement la charge de la preuve.

Par exemple, les juges de la haute juridiction ont considéré qu’il n’était pas suffisant pour un salarié se disant victime de harcèlement moral d’apporter au soutien de ses prétentions des attestations qui émanent de ses collègues et de ses proches et qui « ne citent aucun fait précis et daté et se bornent à restituer les déclarations reçues de M… K… en y ajoutant des commentaires personnels sur sa situation » (soc. 14 novembre 2019, n°18-15682)[7].

Par les termes « éléments de fait » il est entendu tout comportement, propos, décision ou autre ayant permis au salarié de considérer qu’il était harcelé.

Les faits dénoncés peuvent se matérialiser par exemple par:

–  des comportements dévalorisants,
–  la réduction des taches confiées,
–  la privation d’outils de travail,
–  la révélation d’informations personnelles à d’autres employés…


Ces faits peuvent être constitutifs de harcèlement même s’ils n’ont pas eu lieu au sein de l’entreprise. Les juges du quai de l’horloge ont récemment condamné un employeur alors que les faits étaient postérieurs au départ en congés de fin de carrière du salarié[8].

Après avoir examiné l’ensemble des faits qui leurs sont soumis, les juges devront vérifier si pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

B) L’obligation faite aux juges de tenir compte de tous les éléments évoqués par le salarié et de les apprécier dans leur ensemble

Comme le disait Marie France HIRIGOYEN c’est « par des paroles apparemment anodines, par des allusions, des suggestions ou des non-dits », qu’il est « possible de déstabiliser quelqu’un ou même de le détruire »[9].

C’est probablement en raison de l’apparence, souvent anodine des faits rapportés par les salariés que les juges du fond sont obligés de prendre en compte tout les éléments invoqués par le salarié[10] . En effet, les juges ne peuvent écarter aucun fait ou comportement reporté par le salarié et sont obligés de les apprécier dans leur ensemble.

A ce titre, le 12 février 2020 la chambre sociale de la Cour de Cassation a, au visa des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, infirmé une décision en rappelant aux juge du fond qu’il leur «appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral»[11] .

Ainsi, les juges ne peuvent prendre en compte chaque élément de façon isolée, ils sont tenus de déterminer si le cumul des faits dénoncés par le salarié laisse présumer qu’il est harcelé.

Cette obligation d’apprécier les faits dans leur ensemble avait déjà été posée dans quatre arrêts en 2008 puis rappelée en 2010[12].

La seule possibilité offerte à l’employeur pour échapper à une condamnation pour harcèlement moral est de prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


C) L’obligation pour l’employeur de justifier toutes ses décisions

La chambre sociale de la Cour de Cassation a rappelé le 12 février 2020 aux juges du fond qu’il leur incombe de vérifier que « l’ensemble des agissements de l’employeur étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement »[13].

Cette affaire concernait un caissier qui reprochait à son employeur de lui avoir imposé une modification de la durée de son travail, d’avoir réduit son salaire et de l’avoir agressé physiquement. Pour rejeter les demandes du salarié, la cour d’appel avait retenu « que l’employeur justifie par des faits objectifs que si le salarié a contesté son nouvel emploi du temps, il en a été tenu compte, et que la réalité de l’agression est bien démontrée, ainsi que la dégradation des conditions de travail ayant eu des conséquences sur la santé du salarié, mais qu’il s’agit d’un fait unique qui ne peut pas constituer un harcèlement moral».

Cette solution n’est pas conforme à la position des juges de la haute juridiction qui considèrent que l’absence de justification par des éléments objectifs d’une seule et unique décision prise par l ‘employeur permet la caractérisation des faits de harcèlement.

Après avoir vérifié toutes ces conditions, si comme le prévoit le texte, ces comportements ou agissements ont «pour objet ou pour effet une dégradation » des conditions de travail du salarié « susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel», les juges doivent reconnaitre les faits de harcèlement moral et accorder une indemnisation au salarié en réparation du préjudice qui en découle.

L’analyse de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation en matière de harcèlement moral permet de constater une position bienveillante des juges de la haute juridiction à l’égard des salariés, laissant paraitre, une volonté comme celle affichée par le législateur en 2002 de protéger les salariés.

En effet, un contrôle rigoureux est opéré sur l’appréciation faite par les juges du fond des éléments qui leur sont soumis. Il en est de même dans le cadre du contrôle des mesures prises par l’employeur afin de prévenir les faits de harcèlement ou de les faire cesser.


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000026268205

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006900818&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20200414

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000039418984

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000025119012&fastReqId=25775373&fastPos=1

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000035640828&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20200418

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000033019902&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20200418

[7] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039419076&fastReqId=1030217117&fastPos=1

[8] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000038734179

[9] Marie-France HIRIGOYEN, Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien édition Syros 1998

[10] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041482104&fastReqId=864698536&fastPos=1

[11] https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2020-02-12_1815045&ctxt=0_YSR0MD1jaGFtYnJlIHNvY2lhbGUgwqd4JHNmPXNpbXBsZS1zZWFyY2g%3D#motifs

[12] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000022858175

[13] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041620446&fastReqId=1598364148&fastPos=1