202004.28
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L’impact du confinement sur le Droit de Visite et d’Hébergement et la résidence alternée (règles de droit et pratiques parentales)

L’état d’urgence sanitaire et l’interdiction des déplacements qui en résulte pour lutter contre l’épidémie ont des incidences certaines sur l’exercice du droit de visite et d’hébergement et l’organisation de la résidence alternée des enfants.

La principale difficulté dans le cadre de la situation sanitaire actuelle réside dans le fait que selon que la résidence des enfants est fixée à titre principal chez l’un des parents (ce qui implique l’existence d’un droit de visite et d’hébergement de l’autre parent), ou bien en résidence alternée, les modalités d’exercice de l’autorité parentale impliquent des déplacementsdes enfants ou des parents.

De nombreuses questions pratiques se posent alors pour les familles concernées :

  1. Quels sont les textes applicables ?

L’article 373-2 du Code civil dispose que la séparation des parents doit être sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale, ce qui implique que chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent.

Le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacementsdans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (dont les dispositions ont ensuite été reprises dans le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, lequel a abrogé le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020) soulève alors la question de l’organisation des déplacements nécessaires pour assurer les droits des parents séparés.

  1. Le droit de visite et d’hébergement est-il suspendu pendant la période de confinement ?

Dans le cadre de son communiqué de presse du 2 avril dernier, la Garde des sceaux rappelle que pendant la période de confinement, le droit de visite et d’hébergement des enfants continue de s’appliquer.

Les enfants doivent donc en principe se rendre chez l’autre parent selon les modalités prévues par la décision de justice. Ces déplacements entrent désormais dans le cadre des dérogations prévues pour « motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfant ».

Toutefois, le droit de visite et d’hébergement doit s’exercer en respectant les consignes sanitaires :

  • limiter les déplacements de l’enfant, en particulier sur de grandes distances ;
  • éviter que l’enfant prenne les transports en commun pour aller du domicile d’un parent à l’autre ;
  • éviter que l’enfant soit au contact des personnes vulnérables.

Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 autorise ainsi les déplacements rendus nécessaires pour l’exercice de l’autorité parentale des parents séparés durant la période de confinement :les déplacements nécessaires pour assurer les droits des parents séparés entrent biendans le cas des déplacements exceptionnellement autorisés par le 4° au titre des déplacements « pour lagarde d’enfants ».

Néanmoins, si les déplacements liés à l’exercice de l’autorité parentale restent autorisés, ils restent soumis au contrôle des forces de l’ordre dans le respect des dispositions du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020.

Il est donc recommandé aux parents de se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, des documents leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions :

  • attestationdérogatoire de déplacement en cochant la case 4 « Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants » ;
  • éventuels justificatifstels que jugement ou convention de divorce qui précise les modalités de garde, et en l’absence de jugement, convention des parents organisant les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
  1. Peut-on modifier les règles de visites et d’hébergement habituelles ?

La Garde des sceaux précise que les parents peuvent se mettre d’accord pour modifier leur organisation de façon temporaire, en vue de limiter les changements de résidence de l’enfant. Par exemple, une résidence avec alternance chaque semaine peut provisoirement être remplacée par une alternance par quinzaine.

Ainsi, les parents peuvent s’entendre d’un commun accord pour suspendre, espacer, aménager, réorganiser provisoirement les droits de visite et d’hébergement du parent chez qui les enfants ne résident pas, ou l’accueil des enfants en cas de résidence alternée.

En effet, la décision du juge est subsidiaire par rapport à un accord des parents et les parents sont toujours souverains dans le cadre des décisions qu’ils prennent : ainsi, si les deux parents sont d’accord, il n’y a pas de difficulté à déroger au jugement (sauf cas d’enfants en danger ou spécifiques).

Les parents peuvent donc se mettre d’accord sur un nouveau rythme temporaire en le formalisant éventuellement par un mail ou un échange de SMS, pour pouvoir éventuellement le présenter au juge en cas de difficulté et justifier de cet accord.

Dans tous les cas et pour éviter toute difficulté future il conviendra alors de :

  • privilégier les accords écrits : il est primordial de conserver une trace des échanges qui auraient pu se tenir entre les parents qui auraient décidé, à l’amiable, de modifier temporairement les modalités d’exercice de l’autorité parentale et de récapituler les accords intervenus (courrier électronique, SMS, messages WhatsApp…).
  • mettre tout en œuvre pour maintenir les liens à distance avec l’autre parent ;
  • éventuellement prévoir une compensation ultérieure : par exemple, des droits de visite plus fréquents, une résidence prolongée chez l’autre parent, etc..
  1. Le droit de visite dans un lieu neutre, un espace de rencontre ou chez un tiers se poursuit-il également ?

La Garde des sceaux a précisé que tous les droits de visite à la journée, au domicile de tiers ou avec l’assistance de tiers doivent être suspendus. Les espaces rencontre sont actuellement fermés.

Ainsi, lorsque la résidence des enfants est fixée chez un parent à titre principal, et que les droits de visite du parent non hébergeant doivent s’exécuter en lieux neutres, il faut considérer que, compte tenu de la fermeture des espaces de rencontre parents-enfants, le parent hébergeant se trouve tout simplement dans l’impossibilité de remettre l’enfant, sans que puisse être retenue aucune faute de sa part compte tenu de l’impossibilité matérielle d’exécution.

Le droit de visite du parent non hébergeant est dès lors paralysé puisque comme tout lieu de rassemblement et de réunion, les espaces médiatisés dédiés aux rencontres parents-enfants sont, pour éviter la circulation du virus, fermés. Il se trouve ainsi dans l’impossibilité d’exercer son droit de visite, étant précisé que le parent hébergeant, confronté par symétrie à l’impossibilité de remettre l’enfant, ne pourrait se voir reprocher d’empêcher l’exercice par le second parent de son droit de visite.

Il semble dans ce cas risqué pour les parents d’envisager un accord pour faire en sorte que le parent non hébergeant puisse voir malgré tout l’enfant, par exemple en présence d’un tiers, car il faut être prudent sur la validité et l’opportunité de ce type d’accord : en effet, si le droit de visite a été autorisé uniquement à se dérouler dans un lieu neutre, c’est qu’il a été jugé que l’enfant ne devait pas être seul longtemps avec le parent, et que la visite devait être obligatoirement encadrée.

Il convient donc de plutôt privilégier les échanges par visioconférence ou téléphone.

Par ailleurs, pour les passages de bras dans les situations conflictuelles aigues, compte tenu de la fermeture de ces établissements, une solution peut consister à procéder, par sécurité, à la remise de l’enfant éventuellement devant les commissariats, les gendarmeries, les mairies, les pharmacies, etc… afin d’éviter l’exposition aux violences.

  1. L’un des parents peut-il refuser de respecter les modalités habituelles de l’exercice de l’autorité parentale ? Le confinement peut-il constituer un « fait justificatif » du délit de non-représentation d’enfant ?

Si les déplacements motivés par la garde des enfants sont autorisés en l’état actuel des recommandations du Gouvernement, afin de permettre le maintien des relations, la question peut se poser de la légitimité du refus d’un parent de respecter les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

A ce titre, le ministère de la justice rappelle dans son communiqué que le fait d’empêcher sans motif légitime l’exercice du droit de visite et d’hébergement de l’autre parent ou de refuser de restituer l’enfant peut être puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

L’exécution du droit de visite comporte indiscutablement un risque de contamination pour les parents, leurs proches et pour l’enfant et compte tenu du contexte d’épidémie, le parent chez qui se trouve les enfants peut envisager de refuser ou être dans l’impossibilité d’exécuter son obligation de remettre l’enfant à l’autre parent.

La question se pose de savoir si le risque de contamination, encouru tant par l’enfant que par le parent non hébergeant au début de la période de confinement, ainsi que par ses proches, peut justifier qu’un parent refuse de remettre l’enfant à l’autre parent, ce qui est, en principe, pénalement interdit et réprimé par l’article 227-5 du Code pénal.

La réponse n’est pas unanime et absolue et devra s’apprécier au cas par cas.

En effet, il faut tout d’abord noter que bien que les déplacements soient autorisés, ils ne le sont qu’à titre exceptionnel, le principe restant l’interdiction de déplacement et il semblerait difficile dans ces conditions de pouvoir reprocher au parent hébergeant de refuser l’exercice du droit de visite de l’autre parent.

Par ailleurs, l’intérêt supérieur de l’enfant, implique que son intérêt prime, a fortiori temporairement, sur celui d’un de ses parents. On peut en outre se demander s’il n’est pas conforme à l’intérêt général d’éviter les déplacements d’enfant entre plusieurs lieux.

Néanmoins, pour refuser la remise de l’enfant sans doute l’évocation globale de la situation sanitaire risque-telle d’être considérée comme insuffisante et faudrait-il tout de même, dans cette hypothèse, des circonstances particulières légitimant le refus telles un risque particulier pour l’enfant s’il connaît des fragilités cardiaques ou respiratoires, ou pour une personne fragile de l’entourage d’un des deux parents. 

On peut donc penser que l’on pourrait l’admettre, s’il existe des circonstances particulières telle qu’une suspicion de contamination ou un risque particulier pour une personne fragile de l’entourage d’un des deux parents.

En tout état de cause, dans le cas où un parent déciderait de ne pas remettre l’enfant à l’autre parent, il semble très peu probable, en cette période particulière de confinement, qu’il puisse être poursuivi pour n’avoir pas respecté ses obligations vis-à-vis de l’autre parent.

On peut en effet légitimement penser que l’exécution forcée du droit du parent de se voir remettre l’enfant ne saurait avoir lieu en cette période de confinement et il est fort probable que le ministère public ne poursuivrait un parent qui n’aurait pas respecté ses obligations à l’égard de l’autre dans ce contexte.

De la même manière, en cas de résidence alternée, il semblerait que, face au risque de contamination pour chacune des familles et pour l’enfant lui-même, le parent chez qui l’enfant se trouvait au début de la période du confinement pourrait invoquer le risque de contamination, pour ne pas remettre l’enfant, à l’autre parent, à la date prévue.

Une nuance néanmoins importante est à apporter lorsque les parents séparés habitent à proximité géographique l’un de l’autre (ce qui est généralement le cas pour accorder la résidence alternée) : dans ce cas on peut penser que les modalités d’exercice de l’autorité parentale devraient rester inchangées. 

Ainsi, l’organisation de la résidence alternée, mais aussi l’exercice du droit de visite et d’hébergement si les domiciles sont à proximité, devraient se dérouler habituellement, malgré les mesures de confinement.

En tout état de cause, dans le cas où un parent déciderait de ne pas remettre l’enfant à l’autre parent (dans le cadre d’un droit de visite ou d’une résidence alternée), invoquant un risque de contamination, il semble là encore indispensable de mettre tout en œuvre pour maintenir les liens à distance avec l’autre parent et éventuellement prévoir une compensation ultérieure (par exemple, des droits de visite plus fréquents, une résidence prolongée chez l’autre parent, etc…)

A termes, les juges, saisis de ces difficultés, devront examiner les situations au cas par cas, pour apprécier in concreto la bonne ou la mauvaise foi de chacun et éviter que certaines personnes ne profitent de la situation et prennent l’excuse du confinement pour ne pas laisser l’enfant voir l’autre parent, parce qu’il y aurait un conflit aigu entre les deux parents.

Les décisions des juges vont alors inévitablement se confronter avec les préconisations du gouvernement qui recommandent de ne pas se déplacer longtemps, loin et souvent : il va falloir faire coexister toutes ces notions.

  1. Si l’un des parents vient à contracter le covid-19, peut-il passer son temps de garde durant 15 jours le temps de la quarantaine pour préserver la santé de son enfant ?

La préservation de la santé reste évidemment la priorité et il est évident que le parent malade peut passer son tour s’il est lui-même contaminé.

Il est souhaitable que l’autre parent le comprenne et garde son enfant même en dehors de sa période, sinon l’enfant peut éventuellement être confié à un tiers de confiance en cas d’impossibilité.

En tout état de cause, on ne pourra jamais reprocher à un parent malade de passer son tour et de le laisser l’enfant à l’autre parent.

  1. Que se passe-t-l si l’un des deux parents rencontre des difficultés à régler sa contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant ?

Si l’un des deux parents ne parvient plus, temporairement à régler l’intégralité de sa contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant (notamment en cas de revenus partiels pour les indépendants, ou les entrepreneurs privés de revenus) il conviendra tout d’abord qu’il l’explique à l’autre parent.

Il faudra également qu’il se constitue des preuves, qu’il écrive en RAR ou par mail au parent créancier pour expliquer les difficultés financières qu’il rencontre et garder des éléments de preuve objectifs à fournir en cas de poursuite pour abandon de famille.

Le juge éventuellement saisi fera ensuite des appréciations in concreto, au cas par cas pour se prononcer et repérer les gens de bonne ou mauvaise foi.