202004.28
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Modalités de la rupture conventionnelle du contrat de travail et jurisprudence récente

Prévue aux articles L.1237-11 et suivants du Code du travail1, la rupture conventionnelle du contrat de travail a été créée en 20082 comme une voie alternative pour mettre fin au contrat de travail, distincte du licenciement et de la démission.

Cette procédure ne peut être mise en œuvre que d’un commun accord entre l’employeur et le salarié : aucun des deux ne peut imposer à l’autre d’y recourir.

La rupture conventionnelle est ainsi un outil privilégié pour une rupture du contrat de travail négociée et donc dans un contexte apaisé, tout en permettant au salarié de s’assurer une certaine sécurité, notamment financière (indemnité de rupture conventionnelle et droit à l’allocation chômage).

  1. Le domaine d’application de la rupture conventionnelle

En principe, la rupture conventionnelle peut être conclue avec tout salarié en contrat à durée indéterminée3.

Le consentement est au cœur de la procédure de la rupture conventionnelle et cette notion est prépondérante dans le raisonnement des Juges pour l’appréciation de ses conditions de validité.

Cela entraîne plusieurs conséquences :

  • D’une part, concernant les salariés concernés par la rupture conventionnelle

La jurisprudence est venue étendre au fur et à mesure son champ d’application au-delà des directives de l’administration.

Ainsi, alors qu’une circulaire4 interdisait la conclusion d’une rupture conventionnelle avec un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la Cour de cassation a adopté une position contraire.

La Haute Juridiction a récemment confirmé que, sauf cas de fraude ou de vice du consentement, une convention de rupture peut être valablement conclue par un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail5 ou au cours de la période de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie professionnelle6 ;

Selon le même raisonnement, une rupture conventionnelle peut valablement être conclue avec :

  • une salariée en congé maternité7 ;
  • un salarié dont l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle.
  • D’autre part, concernant le contexte de la signature d’une rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties.

Pour autant sa validité n’est pas nécessairement affectée par l’existence d’un conflit ou d’une situation de harcèlement moral entre l’employeur et le salarié concerné, à moins que ce conflit ne soit à l’origine de pression ou de menaces pour conclure une rupture conventionnelle.

Deux récentes décisions de la Cour de cassation illustrent parfaitement cette réalité :

  • Au mois de janvier 20198, elle rappelait ainsi qu’un salarié qui établissait que la rupture conventionnelle de son contrat de travail était intervenue dans un contexte de harcèlement ne pouvait pas pour autant demander son annulation sans invoquer un vice du consentement.
  • Au mois de janvier 20209, la Haute Juridiction a confirmé la nullité d’une rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement dès lors qu’il est établi que le harcèlement a vicié le consentement du salarié. En l’espèce, la violence morale a été retenue par les Juges en raison du harcèlement moral qu’il subissait et des troubles psychologiques qui en résultaient.

Loin de se contredire, ces deux décisions soulignent l’importance du consentement dans la rupture conventionnelle. Selon la Cour de Cassation, un conflit ou une situation de harcèlement ne fait nullement obstacle à l’existence d’une volonté claire et non équivoque du salarié de mettre fin à son contrat de travail.

  1. Les conséquences de la rupture conventionnelle

La première des conséquences d’une rupture conventionnelle homologuée10 est bien entendu la rupture du contrat de travail. Elle ne peut pas intervenir avant l’expiration du délai de réflexion (15 jours calendaires) et du délai d’homologation par l’administration (15 jours ouvrables).

Ainsi, le salarié doit se voir remettre, au moment de son départ de l’entreprise un certificat de travail, une copie de l’attestation Pôle emploi (ex-attestation Assedic) et un reçu pour solde de tout compte.

Cependant, l’attrait principal de la rupture conventionnelle du contrat de travail pour le salarié réside dans deux points importants :

  • Le versement de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle ;

Cette indemnité spécifique de rupture ne peut pas être inférieure à l’indemnité légale de licenciement11qui se calcule de la manière suivante12 :

  • 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans ;
  • 1/3 de mois de salaire au delà de 10 ans.

S’agissant du régime fiscal et social de cette indemnité spécifique de rupture, il convient de préciser que si le salarié n’est pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire, l’indemnité de rupture conventionnelle bénéficie de l’exonération prévue pour les indemnités de licenciement13.

A contrario, si le salarié peut faire liquider sa pension de retraite, l’indemnité conventionnelle perd son caractère exonéré.

Attention toutefois, la loi – confirmée par la jurisprudence – n’institue aucunement un distinguo selon que le salarié puisse ou non bénéficier d’une retraite à taux plein.

La Cour de cassation, dans la cadre de la procédure de QPC14 a très récemment précisé que cette situation n’entrainait pas de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi15.

Bien entendu, le versement de l’allocation spécifique de rupture conventionnelle n’est pas exclusif de :

  • La contrepartie financière de la clause de non-concurrence prévue au contrat, à moins que les parties aient convenu de la neutraliser ;
  • L’indemnité compensatrice de congés payés si le salarié n’a pas pris tous les congés payés qu’il avait acquis ;
  • L’ensemble des éléments de rémunération dus par l’employeur à la date de la rupture du contrat de travail ;
  • Toute autre indemnité sur laquelle les parties se seraient mises d’accord.
  • Le droit aux allocations d’assurance chômage ;

L’homologation de la rupture conventionnelle entraîne le droit pour le salarié de percevoir les allocations d’assurance chômage dans des conditions de droit commun16.

  1. La procédure encadrant la conclusion d’une rupture conventionnelle

Le formalisme entourant la rupture conventionnelle est relativement simple mais il convient toutefois de respecter scrupuleusement la procédure pour assurer sa validité.

  • Le(s) entretien(s)

Préalablement à l’entretien de signature, la rupture conventionnelle est subordonnée à un ou plusieurs entretiens de négociation au cours desquels le salarié et l’employeur peuvent se faire assister17.

Le salarié peut se faire assister selon deux modalités distinctes :

  • en présence d’institutions représentatives du personnel, par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ;
  • en l’absence d’institutions représentatives dans l’entreprise, par une personne de son choix appartenant à l’entreprise ou par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative (et consultable dans chaque inspection du travail et dans chaque mairie).

Sur ce point, la Cour de cassation a récemment considéré que le fait pour un employeur de ne pas informer le salarié de la possibilité de se faire assister tout en se faisant lui-même assister sans l’en avoir averti ne peut pas entraîner la nullité de la rupture conventionnelle, sauf si l’assistance de l’employeur a engendré une contrainte ou une pression pour le salarié qui se présente seul à l’entretien18.

Le salarié – tout comme l’employeur – ne peut pas se faire assister par un Avocat lors des entretiens mais il peut bien entendu se faire conseiller en amont.

Le rôle de l’Avocat est de le préparer à ces entretiens, veiller au respect de ses droits et de la procédure ou encore apporter son expertise dans le cadre des négociations entourant la rupture du contrat.

  • La signature du formulaire

Si une convention annexe peut être rédigée entre les parties pour préciser les modalités – notamment financières – de la rupture conventionnelle, les parties doivent impérativement remplir le formulaire de demande d’homologation tel qu’établi par l’administration19.

Le formulaire doit être daté et signé par l’employeur et le salarié.

A défaut, la rupture conventionnelle est nulle puisqu’il n’est pas possible de déterminer le point de départ du délai de rétractation20.

Très récemment, les Juges du fond ont eu l’occasion de rappeler que la même sanction est encourue lorsque l’employeur antidate la convention de rupture conventionnelle, cette pratique ne permettant pas au salarié d’exercer son droit de rétractation21.

En outre, chaque partie doit conserver un formulaire original : dans un arrêt du 03 juillet 201922, la Cour de cassation rappelle que seule la remise au salarié d’un exemplaire de la convention signée des deux parties lui permet de demander l’homologation de la convention et d’exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause.

Le même jour23 elle précisait également qu’en cas de litige, l’employeur doit être en mesure de prouver que l’un des deux a bien été transmis au salarié.

  • Le droit de rétractation

A compter de la date de signature de la convention de rupture conventionnelle, chacune des deux parties dispose d’un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation24.

Le droit de rétractation est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l’autre partie.

A défaut de précision de la loi, la Cour de cassation a récemment précisé25 que c’est la date d’envoi du courrier de rétractation qui importe, et non la date de réception.

  • L’homologation de la rupture conventionnelle

L’autorité administrative (DIRECCTE) dispose d’un délai d’instruction de 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions de validité de la rupture conventionnelle et de la liberté de consentement des parties.

A défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise (à l’exception des ruptures conventionnelles concernant des salariés protégés) et l’autorité administrative est dessaisie26.

Attention, dans le contexte d’urgence sanitaire lié au covid-19, si le délai de 15 jours accordé à la DIRECCTE n’a pas expiré avant le 12 mars 2020, il est alors suspendu jusqu’à la fin de la période protégée expirant à l’issu d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire27.

  1. Le contentieux de la rupture conventionnelle individuelle

Le litige relatif à la convention de rupture conventionnelle, tout comme celui relatif à l’homologation ou son refus, relève exclusivement de la compétence du Conseil de Prud’hommes.

Le recours doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.28

Ce délai peut toutefois être écarté en cas de fraude de l’employeur à condition que cette fraude ait eu « pour finalité de permettre l’accomplissement de la prescription »29.

Si une convention de rupture est annulée, alors la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, les sommes versées au titre de cette rupture conventionnelle ne sont en conséquence plus dues : le salarié doit les restituer à l’employeur30.

En pratique, elles sont déduites du montant des sommes dues au salarié au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

1https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=423BBFBE5CB58F43967E00A4A97C6A7B.tplgfr23s_2?idSectionTA=LEGISCTA000019071189&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20080627

2 Loi n°2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail

3 Sont ainsi exclus les agents contractuels de la fonction publique et les salariés en CDD

4 Circ. DGT n° 2009-04, 17 mars 2009

5 Cass. soc., 9 mai 2019, n° 17-28.767

6 Cass. soc., 30 sept. 2014, n° 13-16.297 ; Cass. soc., 16 déc. 2015, n° 13-27.212

7 Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.149

8 Cass. soc., 23 janv. 2019, n° 17-21.550

9 Cass. soc., 29 janv. 2020, n° 18-24.296

10 CF infra « la procédure encadrant la rupture conventionnelle »

11 Article L.1237-13 du Code du travail

12 Article R.1234-2 du Code du travail

13 Cass. 2e civ., 10 oct. 2019, n° 18-20.178

14 question prioritaire de constitutionnalité

15 Cass. 2e civ. QPC, 13 juin 2019, n° 19-40.011

16 Articles L.5421-1 et L.5422-1 du Code du travail ; Article 2 du règlement général d’assurance chômage 14 avril 2017 et 26 juillet 2019

17 Article L.1237-12 du Code du travail

18 Cass. soc., 5 juin 2019, n° 18-10.901

19 https://www.telerc.travail.gouv.fr

20 Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-23.586

21 CA Montpellier, 8 janv. 2020, n° 16/02955

22 Cass. soc., 3 juill. 2019, n° 17-14.232

23 Cass. soc., 3 juill. 2019, n° 18-14.414

24 C. trav., art. L. 1237-13

25 Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 17-10.035 ; Cass. soc., 19 juin 2019, n° 18-22.897

26 Article L.1237-14, al. 2. Du Code du travail

27 Ordonnance 2020-306 du 1-4-2020, articles 1 et 7

28 Article L.1237-14 du Code du travail

29 Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16.994 ; Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16.996

30 Cass. soc. 30 mai 2018 n°16-15.273